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23ème jour de la saison sèche, an 942
Allo Ween ? Ici Trouille !
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53ème jour de la saison sèche, an 942
Marcher. Marcher. Encore marcher...
Cela fait plusieurs jours que je marche. Que je traverse bois sombres, rivière tumultueuse, collines hostiles, marais putrides, plaines immenses... Que je côtoie aussi bien des monstres de légendes que des prédateurs tous plus dangereux les un que les autres. Pégases, loups, ours, taureaux, chiens cornus, opossums... Je me suis réveillé à Burdos, le plus proche endroit où mes compagnons ont pu trouver un médecin compétent afin de me faire revenir parmi les vivants. Ils m'ont conté la fuite des citrouilles qui enlevèrent de façon plus qu'étrange le corps fracassé de leur souverain puis s'en sont allés à Anton où leur mission les attends.
J'ai pris de nombreuses notes pour l'avenir de la Garde dans ce lit. Tous ces jours à me panser et me retourner dans ma couche... J'ai fui dès que j'ai pu l'air confiné et empuanti de la ville, réclamant senteurs des bois et parfums enivrants de la nature à corps défendant. Malgré toute la concentration que j'ai pu appliquer lors de ma convalescence, la pestilence de l'auberge me retournait les tripes, les bruits m'assourdissaient, crieurs, voleurs, harangueurs, commis, fêtards comme simples visiteurs. Trop de bruits, trop d'odeurs, la folie urbaine me rongeait sang et os.
Dès que j'ai pu me lever, j'ai erré dans la ville afin d'en trouver la sorti et j'ai plongé dans la nature. Quelle étrange faune je croisais là ! Pégases, renards, opossums, ours... Que de monstres étranges qui ne peuples plus depuis longtemps les environs de la tentaculaire Bélérim ! J'en ai profité pour tester de nouvelles techniques de chasse, ai tué un ours mais me suis fait gravement blessé de nouveau par un renard. De fait, j'ai dû repasser quelques jours enfermé au lit afin de pouvoir remarcher, ma jambe ayant enflé là où le goupil m'avait mordu de manière très alarmante. J'ai déliré quelques jours sous l'effet de la fièvre malicieuse mais me voilà de nouveau sur pied, bien qu'encore un peu faible.
Je m'aventure à présent sur cette route que les paysans m'ont déconseillé car envahie de bêtes féroces. Je suis courageux et ne crains pas les bêtes. Téméraire peut-être, quand je vois les obstacles qu'il me faut traverser ou éviter. Imprudent sans doute lorsque je constate que la nuit va bientôt tomber alors que nul village ne découpe sa silhouette à l'horizon. A présent craignant pour ma vie alors que les loups se rassemblent autour de moi. Déjà l'un m'a mordu, la rage dans son œil vicieux. Je cours, le bras en sang. Ces loups sont hargneux et sans doute affamé pour s'attaque à un homme. A moins que ce ne soit la perspective d'un banquet facile pour la meute qui les pousse à me presser et à s'attaquer à moi ?
Je cours à perdre haleine...
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3ème jour de la saison des pluies, an 942
Les villageois n'avaient pas tort, j'aurais mieux fait de les écouter. Si les loups ne m'ont pas dévoré, c'est seulement parce que les villageois de Ferhaut ont vu la lueur de ma torche s'agiter au loin et qu'ils sont venus à ma rencontre, juste à temps pour me voir sombrer dans un coma profond, un grand loup au pelage argenté tentant vainement de déchirer ma capuche afin de me broyer le cou.
Ils m'ont rapporté chez eux et c'est dans un lit douillet que j'ai vu tomber les premières pluies de la saison éponyme. Je suis las de cette faiblesse, les bêtes sont top puissantes pour que je puisse aspirer à me promener seul et découvrir le monde. Cela doit changer ! Si aujourd'hui je suis faible, demain je leur ferai payer ce qu'ils m'ont fait subir, je ne serai plus proie mais chasseur, je serai leur égal et eux aussi devront me craindre et courir pour leur vie comme je l'ai fait. Je me repaitrai de leur chair, vêtirai leur peaux et les ferait trembler lorsqu'ils entendront mon cri de défi annoncer ma présence à l'entrée de leur territoire...
Loups...
Quand bien même les citadins disent que l'homme est un loup pour l'homme, alors le loup devrait s'en réjouir pour nous : nous nous décimons entre nous de la même manière qu'eux nous déciment : j'ai encore été contacté par Holoring par LeRige, qui a été abattu par un bandit en en piégeant un lui-même. La mission de sécurisation des alentours d'Anton n'est pas chose aisée et j'espère que les autorités d'Anton nous en sauront gré.
Les primes tombent une par une et déjà la rumeur de notre présence commence à se faire connaître. Nadriril m'a fait part de son inquiétude car les bandits semblent s'organiser afin de nous éviter. Les regards se font plus fuyants à notre arrivée, les mensonges plus courants. L'on craint la Garde Franche à Anton, on l'accuse de mille maux et je revis la période maudite où l'on conspuait nos efforts de paix alors que nous protégions la paix entre Bélérim et Anton. Les rumeurs courent dans les ruelles sombres et les tavernes les plus miteuses : la Garde Franche s'apprête à envahir Anton, le royaume serait en grand danger, les soldats vont piller la cité et y mettre le feu une fois toutes ses richesses convoitées engouffrées dans nos sacs à rapine...
Autant de médiocrité qui reflète la peur des bandits et leur volonté de nous chasser de leur terrain de chasse. Autant de racontars repris par les pauvres gens, les poivrots ou les mendiants, tous ceux-là qui n'ont pas un denier vaillant et qui ne connaissent les bandits que par les deniers que ceux-ci leur reversent pour leurs services plus ou moins légaux. Seuls les marchands et les artisans nous en sont gré mais passé la reconnaissance de voir son commerce sécurisé, nul ne s'est enquis de notre mission ni de notre intérêt à être présent en ces terres.
S'ils savaient...
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45ème jour de la saison des pluies, an 942
J'ai enfin rejoint Bélérim. Salement blessé par un sanglier mais j'ai tout de même pu rejoindre la cité tentaculaire et arpenter ses chemins boueux charriant les ordures de toute la fange de la société comme celles des nantis. La pluie a cela de bon qu'elle atténue la puanteur douceâtre qui se dégage toujours des venelles sombres de la ville basse, là où pourrissent cadavres et lépreux. Je me soigne un peu chaque jour, chez l'antiquaire où j'ai posé mon baluchon. Après un intense échange afin de négocier âprement les arkhanas que j'ai collecté en route depuis Burdos, il consent à me livrer quelque savoir plutôt que de me remettre la relicarte que j'étais venu chercher.
Je peux enfin prendre un peu de temps pour repasser tous les événements qui se sont passés à Anton, bien loin de là. La compagnie s'est heurtée à une forte opposition qui a mis à mal les missions que nous nous étions fixées. Les bandits Maruk et Moustrik, bien plus à l'aise en ville comme dans la campagne environnante que les Gardes, ont moissonné nos rangs avant que nous ne parvenions à les arrêter. Nous avons cru pouvoir poursuivre après cet accrochage mais la vindicativité de ces bandits nous a poursuivi comme la sueur attire les mouches. Alors que nous commencions à nous égayer dans les environs d'Anton, ils sont revenus à la charge, tels des béliers capricieux. Un grand nombre de gardes sont encore tombés sous leurs coups grâce à leur nombreuses relations les renseignant sur nos positions et une complicité inégalée qui me pousse à croire à un lien de parenté entre eux.
Nous sommes pourchassés par ces bandits de toutes parts et malgré ma missive au roi d'Anton plutôt de bonne augure, aucun milicien de ce royaume n'a voulu écouter nos dols et croire aux violences des bandits. Mes frères et moi-même avons trop cru en l'équité des lois antoniennes, qu'on nous avait pourtant tant vanté lorsque les troubles avaient éclaté lors du dernier tournoi à Belerim. Force est de constater que le deux royaumes ne valent pas mieux l'un que l'autre en termes de respect de la loi. la loi du plus fort sera toujours souveraine !
Malgré de nombreux contacts avec les membres de la coterie des Démiurges, nous ne sommes pas parvenus à nous entendre : tous ceux à qui j'ai pu m'adresser m'ont fait clairement comprendre que les Démiurges sont un amalgame de volontés propres désunies si ce n'est pour promouvoir le chaos. Je ne comprends pas comment Anton peut supporter un tel bubon sur sa renommée de royaume de paix et de justice...
C'est donc avec peine que j'ai dû demander à mes frères de quitter Anton, leur sang versé m'arrachant trop de larmes à chaque fois qu'il coulât. Trop de haines, de germes de destruction ont été semé pour que la Garde puisse se remettre si d'aventures elle restait combattre ce fléau que sont ces assassins protégés par la milice corrompue. Je préfère encore voir la Garde Franche meurtrie dans sa chair rentrer dans ses pénates plutôt que de la voir jouer le jeu de ces fourbes tueurs en poursuivant la confrontation par trop inégale. il y a tant de raisons de continuer à vivre et d'ignorer cet échec...
Ma sœur Yokinoss en est le parfait exemple : malgré le fait que ma mère l'aie emmenée avec elle et qu'elle l'aie caché aux yeux de mon père toute sa jeunesse durant, allant même jusqu'à lui refuser de porter un Holoring, elle a à cœur de se dépasser et de prouver sa force et son courage. Parcourir deux royaumes entiers n'est pas à la portée de tout un chacun et même si beaucoup ont crié au suicide, je suis fier de la savoir de mon sang. Son exemple me donne la foi de continuer à vivre pour poursuivre ma quête. Mais y parviendrais-je jamais un jour ? Mon but est si incertain...
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25ème jour de la saison maudite, an 942
Comment çà plus de bières ? Merbe ! Pourtant j'en avais bien pris avant de partir. J'aurais tout bu ? Pffff... Ces foutus bandits sont les pires voleurs de la terre, sûr que c'est eux qui m'ont vidé mon sac. Hips !
Bon, faut que je retournourne à Fizz, je vais jamais avoir assez de binoche pour passssser les cols sinon ! Tiens ? C'est quoi çà ? Y va avoir de l'orage, hein, non ? Pourtant y faizait clair y'a pas deux minutes... Hé mais ? Kesséçé ? Oh le jouli piou-piou, viens donc là que je te fasse broche à la cuire. Le bon miam-miam à son papounet... BZZZZZZZZT !
Un peu plus tard, à l'auberge de Fizz...
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28ème jour de la saison sèche, an 943
Par où commencer ? Tant d'événements, de personnes, de croisées de chemins... Le Grand Projet de Yokinoss, ma sœur, s'est parachevé grâce à mon aide : elle a enfin pu rallier à pieds Belerim depuis Six-Fleurs. Même si elle n'a pu y rester longtemps : nous avons en effet rejoint le reste de la Garde Franche partie en mission pour le Prince Gaïus accompagner l'expédition archéologique menée par le savant Eli Drago dans les ruines du désert au nord de Stella. Nous avons donc couru tout du long du chemin de Fizz à Belerim, ne nous arrêtant que pour reprendre notre souffle et dormir quelques heures. Arrivé là-bas, nous avons été rejoint par Achéron Arrowsmith, le nouveau marchand de la Garde Franche qui venait de s'enrôler dans la Garde. L'aéronef jusqu'à Anton, puis Stella et nous voilà en route pour rattraper le gros de l'expédition partie quelques jours avant nous.
Les grandes plaines du nord de Stella et leur faune impitoyable ont eu raison de bon nombre de faibles : Tigres, taureaux, lions, autant de grandes bêtes toutes plus dangereuses les unes que les autres. Nous sommes cependant parvenus à l'ancienne nécropole, non sans quelques accrochages. J'ai perdu les autres et me suis retrouvé seul à l'entrée des ruines où un campement de fortune était érigé par les gardes du prince et les archéologues en attendant que les aventuriers déblaient le passage et se fraient un chemin à travers les pièges des ruines de l'édifice ancien. Plusieurs accrochages, mais rien qui ne dégénère, pour le plus grand soulagemetn des Gardes qui assurent la sécurité entre les aventuriers.
Les Oubliés du Temps sont à leur place ici comme dans tous le Stellesi : allant à droite et à gauche, ils dégagent la voie avec tous les autres aventuriers dans leur sillage comme une nuée de rémoras. Une chimère, un scorpial ainsi qu'un béhémoth hantent les ruines en compagnie de nombreuses chauves-souris, scorpions ou rats. Les pièges prélèvent eux aussi leur dime en renvoyant sur des brancards plusieurs aventuriers dont le champion des Oubliés du Temps, Kain, qui avait pourtant terrassé la chimère et le scorpial.
Tout au fondes catacombes, une surprise de taille cependant : un Ancien !
Un Ancien, un de ceux qui vécurent le Grand Fléau, celui-là même qui choisit ces ruines pour tenter un rituel d'emprisonnement dans le temp, sortilège brisé par l'irruption des aventuriers dans son refuge. Présents les premiers, nous pûmes, Kordoch et moi, constater le lent retour à la vie de l'Ancien, puis, comme tous, sa dégénérescence rapide alors que le temps reprenait son dû. Nul n'échappe au temps, fusse-t-il le plus grand des mages !
Nous l'avons enterré, avec deux aventurières mortes dans l'exploration des ruines, dans ces mêmes ruines où il avait défié la mort en ne vivant pas pour autant, expérience futile et ô combien inutile. Inutile ? Je n'en suis plus si sûr finalement : la lueur de bonheur dans les yeux de l'Ancien alors qu'il vécût une dernière journée sous le soleil de la saison sèche, sans vent mutagène pour brûler sa peau, sans nuages noirs pour dissimuler l'astre solaire, sans bouleversement, majeur, cette journée de paix, il l'emportât avec lui dans la tombe et je me félicite d'avoir eu cette intuition, même si j'espérais secrètement que l'éloignement du lieu d'origine de son rituel lui éviterait ce vieillissement prématuré.
Mais point de pleurs, point de larme : la Garde Franche est mandée à nouveau ! Cette fois par les Oubliés du Temps : l'un des leurs a été pris à partie par le célèbre Billy, le bandit de grand chemin qui s'était faufilé en douce à la suite de l'expédition afin de rançonner les aventuriers fatigués de retour dans les villages environnants des ruines. Faisant son beurre de quelques aventuriers, nous le chassâmes conjointement avec les quelques Oubliés du Temps réclamant vengeance. Comble de l'ironie, coincé tel qu'il était entre le marteau et l'enclume, il ne périt ni par notre main ni par la leur mais sous la patte d'un tigre sauvage, terreur de ces régions. Autant pour lui...
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40ème jour de la saison sèche, an 943
Le désert veux assurément ma peau... A peine quelques pas parcourus en son sein que déjà la chaleur sèche m'accable et ralentit mes pas. Alors que l'éclat de verdure de l'écrin des plaines disparaissent derrière une haute dune que je me retrouve face à face avec deux créatures monstrueuses qui se précipitent sur moi, comme si j'avais profané leur sanctuaire. Avisant des débris marrons d'origine inconnus, je tente de me cacher à l'intérieur mais autour de moi, ils tournent encore et encore, cherchant à me déloger de mon refuge. Je les entends approcher, ils seront bientôt là... Vais-je donc finir comme l'aventurière malheureuse dont j'ai trouvé les effets dans ce même endroit ? Sera-t-il ma tombe anonyme ou parviendrais-je à repousser les monstres ? L'aube apporte toutes les réponses aux espoirs de la nuit obscure...
Je suis à Jedda. Ne me demandez pas comment j'y suis arrivé, je n'en suis pas sûr moi-même. A dos de taureau peut-être ? Les habitants sont chaleureux mais affairés à réparer les dégâts qu'un taureau a infligé à leur clôture d'enceinte la nuit dernière. Sans force, j'ai bien du mal à les aider aussi me rends-je à l'auberge me reposer. Quelle surprise de me rendre compte que je partage ce lieu avec l'un des bandits les plus reconnus d'Arkhan ! Iadolide est en aussi piteux état que moi-même et ne tente même pas de s'enfuir malgré la sommation que je lui fais avant de lui passer les menottes. C'est Lamia qui serait fière : ma première arrestation en solo ! Mais je n'ai aucune nouvelle d'elle ni des autres. Se portent-ils bien ? La mission avance-t-elle comme prévu ? Une fois reposé, je les recontacterai afin de savoir ce qu'il en est...
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58ème jour de la saison sèche, an 943
Après quelques jours laborieux, j'ai enfin rejoint Stella. Cela faisait plusieurs décades que je n'y avais pas remis les pieds, la Garde Franche se contentant des hameaux alentours comme base arrière des missions dans le Stellesi. Après l'expédition plutôt réussie du Prince Gaïus, la chasse à Billy et l'exploration des environs, il était temps que je me repose un peu et que j'aille chercher la prime du bandit. Celle-ci empochée, j'ai erré dans cette ville inconnue, croisant de temps à autre un Garde Franc en goguette. J'ai dilapidé ma prime en alcool, femmes et fait feu de tout bois afin de prendre un peu de plaisir. Les Stellesi sont un peu plus réservés que les Belerins mais leurs femmes n'en sont que plus désirables...
Une fois mon tour de ville terminé, j'ai pris le chemin du sud. Il parait que Soumais n'est pas loi et il s'agit d'une des rares villes que la Garde en connait pas encore avec Delidar. Avec quelques Gardes, nous allons donc pousser jusque là pour voir de quoi il retourne. Et après Delidar ? A Stella, le bruit court qu'en ce moment même, une compagnie d'Oubliés ont déjà atteint la cité mystérieuse. Nous y passerons après eux, qu'importe ! De toutes façons, nous allons toujours partout...
D'ailleurs, il faudrait peut-être que je somme Achéron de proposer nos cartes. Peut-être cela en intéresserait-il plus d'un de savoir où il va et où il est allé ? Mmmmh... Il faut que j'en parle à Achéron, il saura certainement mieux que moi si cela intéressera les gens de savoir comment relier une ville à une autre ou dans quelles régions on peut trouver certains monstres. La Garde a toujours besoin d'argent de toutes façons, je suis sûr que le Marchand de la Garde saura renifler les endroits où en trouver...
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39ème jour de la saison des pluies, an 943.
La traversée de la forêt avait été fort agréable au rôdeur : parcourant les sentes d'animaux sauvages et les clairières baignées par la lumière de la lune bleue, ils avaient pu chasser à satiété et repérer les principaux repères topographiques nécessaires à l'élaboration d'une carte fiable. Toute la forêt ne serait sans doute pas cartographiée avant un bon moment, au vu de l'étendue qu'Erkenbrand avait vu s'étaler sous son regard depuis le haut dégarni d'une colline solitaire. Ils avaient campé à la source d'un des embranchements du puissant fleuve Fine, celui-là même au bout duquel se trouvait Delidar.
Les pensées du capitaine de la Garde Franche s'étaient alors portées avec les feuilles mortes flottant au gré du courant vers la mystérieuse cité. Quelles alliances y avait-il à conclure avec ses étranges habitants ? Se pourrait-il qu'il y aie affaire à se faire recruter là-bas ? Ni Trex ni Gaïus ne les avait contactés malgré plusieurs suggestions et les allusions de Trex n'avait jamais données le moindre fruit malgré les espoirs de rémunérations qu'elles avaient porté. Peut-être les commerçants de Delidar seraient intéressés pour commercer ? Il fallait qu'il envoie une délégation avec Achéron Arrowsmith là-bas. Le jeune marchand avait un sens du bagou et des affaires hors du commun et il y trouverait certainement matière à commercer. Oui, il allait faire çà...
Se saisissant de son Holoring, il composa un message à l'attention du Marchand, précisant qu'il avait toute latitude pour s'organiser et recruter des Gardes en permission à Stella ou ailleurs afin de rejoindre la cité et entreprendre les démarches nécessaires à l'établissement de tout commerce fructueux pour la Garde Franche. Puis il contacta Lamia et Wormir afin d'établir un campement commun dans deux nuits. La séparation était plus simple pour trianguler les distances mais il leur fallait se méfier des bandes de monstres errants : aussi bien les cerfs ne venaient pas trop frotter leurs bois aux aventuriers, autant les araignées et les chauve-souris s'attaquaient toutes les nuits à la petite troupe. Il envoya également un message à Kordoch qui avait suivi le fleuve, les laissant se diriger vers Soumais.
Poursuivant un cerf à la lueur de la nuit couverte mais malgré tout éclairée par une lune pleine, il s'éveilla le lendemain aux abords de la forêt, distinguant au loin la plaine et des culturs importantes.
"Soumais, déjà ?"
Rejoignant la ville, il en parcourut les rues jusqu'à trouver une auberge. Il y apprit que les récoltes avaient été particulièrement bonnes cette année et qu'à l'occasion, une grande fête serait donnée pour célébrer cette manne céleste, notamment à travers la consommation de la bière d'été, la bière qui vous plaît, comme l'avait ânonné l'aubergiste à plusieurs reprises. Le rôdeur ne s'était pas fait prié et malgré la clarté du breuvage (il pouvait voir le fond de sa choppe !), il se prit à boire plus que de mesure.
Se mêlant à la foule des Stellesi et autres Soumaisois paillards, il passa un agréable moment et s dit que malgré l'austérité de certains dirigeants, le bas-peuple dans cette région du monde savait tout aussi bien s'amuser que dans celle d'où il venait...
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55ème jour de la saison maudite, an 943.
La route, longe, austère et poussiéreuse... La route qui n'en finit pas, de village en village, toujours égale à elle-même. Quelque cahot, nid-de-poule ou ornière la ponctuent tel le récit monotone d'un professeur ennuyeux. Et quand le cancre s'ennuie, il regarde par la fenêtre les oiseaux qui passent dans le ciel en pépiant : rapides geais, pinsons chantants, Stymphaliens argentés, merles siffleurs... Stymphaliens ? Ah ! C'est donc à çà que çà ressemble ? Hummm... L'illustration de la bibliothèque de Stella ne leur rend pas hommage. Quel vol majestueux ! Et ce ramage... Hey ! Oui, et bien on va s'en écarter des Stymphaliens. Çà m'embêterait un peu de voir leur plumage de trop près !
Quelques pas de course plus tard, je me retrouve à Eld. Ce petit village se niche dans la petite plaine sise entre la grande forêt de Brèche et l'océan majestueux. Mais de port, nenni ! Alors que les conifères tenaces et autres caducs de la forêt cèdent la place à des pins dont le tapis d'aiguille étouffe le bruit des pas sous leur ramure, le petit hameau apparait. Mais ce que l'on remarque de prime abord, ce ne sont pas les petites maisons cossues ou la haute palissade protégeant sa population des kodiaks et autre loups noirs. Non, ce que l'on remarque, c'est l'immense dune qui s'élève, majestueuse, derrière le village. Longue de plusieurs lieues, plus haute qu'une colline, elle semble avaler la végétation environnante qui pousse à son pied, ensevelissant troncs d'arbres morts et rochers telle un Léviathan silicéen.
Après une brève halte au moulin pour acheter un peu de farine nécessaire à la confection de rations de voyage, le rôdeur entame l'escalade de la dune géante. Voyage laborieux s'il en est, le sable se dérobe sous les pas pour pénétrer dans les bottes trouées et alourdir encore le pas du voyageur. Un pas de travers et c'est la chute, quelques mètres difficilement grimpés qui sont à gravir de nouveau ! Soleil de plomb sur la silice brulante, la chaleur sèche et étouffante prend la gorge et attise la soif, carcan supplémentaire entravant la progression jusqu'au sommet.
Puis la pente cesse et c'est avec surprise que l'on pose le pied sur un sable tassé presque ferme et, joie, à la surface enfin plane. Mais ce n'est pas tant le sol plat qui réjouit l'alpiniste amateur que la brise marine qui fouette le visage crevassé par la soif et l'iode océane qui soulage de la chaleur et éveille des envies de baignade. L'océan, enfin... De ce promontoire, on peut distinguer une bonne partie de la cote sud de Barratie. Aussi loin que porte le regard après, c'est l'océan... Bleu, pur, moutonneux, mouettes et Stymphaliens crient de... Stymphaliens ? Bon sang, ne me laisseront-ils donc jamais en paix ?.
Le rôdeur commence à courir sur le sommet de la dune puis, réalisant l'inanité de la chose, se rue sur la pente alors que sifflent les plumes acérées dans son sillage. Dévalant la pente avec des enjambées impensables à flanc de montagne, il se rue à l'abri d'un bosquet de résineux pendant quelques heures, le temps que les oiseaux de malheur s'éloignent vers quelque autre gibier moins prudent...
Retour à la route, longue, monotone et plate. Mais ô combien facile à parcourir ! C'est maintenant avec du baume au cœur et une chanson aux lèvres que le capitaine de la Garde Franche reprend sa route pour rejoindre Achéron Arrowsmith et les autres Gardes Francs qui ont pris la route du nord déjà jalonnées par les cartographes de la Garde, vers la mystérieuse et intrigante cité de Délidar...
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8ème jour de la saison sèche, an 945.
Hum ! Cela fait plus d'un an que je n'ai pas consigné nos épreuves dans ce carnet... Faut-il que je ne trouve le temps d'écrire que lorsque je suis en convalescence ? Il me faudra être plus attentif ou l'annaliste me tombera dessus... Par où commencer... Ah oui ! Mon dernier récit remonte à la découverte de Délidar...
La Garde Franche avait depuis longtemps remis sa venue en ces lieux pour se consacrer à d'autres tâches, comme la protection de l'expédition du Prince Gaïus. Expédition ô combien intéressante mais pas vraiment d'un point de vue pécuniaire. Les finances de la Garde Franche n'étaient pas au plus haut et sans les Marchands de la coterie, nul doute que leurs comptes peineraient à se maintenir à flots. L'expédition de la Garde Franche vers Délidar était donc une tentative de trouver un nouvel employeur, les instances de Belerim étant soit trop radin, soit trop puissantes en leurs terres pour nécessiter l'emploi d'une troupe de mercenaires. Ils avaient donc convergé vers la cité mystérieuse, repérée par un des leurs éclaireurs quelques saisons plus tôt.
Alors que nombre d'entre eux faisaient relâche à Stella pour préparer l'expédition, ils avaient eu vent d'une délégation Stellesi qui avait fait chou-blanc. Au vu des émissaires cependant, le capitaine de la Garde Franche n'avait pu que sourire : une telle délégation était vouée à se heurter à des autarques tels que ceux décrits par leur éclaireur. La compagnie aurait-elle plus de chances qu'eux ? Lui-même n'était pas le plus fin diplomate qui aie foulé le sol d'Arkhan mais au moins avait-il un franc parler qui saurait peut-être convaincre les gens de Délidar de nouer contact et, avec un peu de chance, de les employer...
Le contact avait été difficile, mais les Gardes s'étaient bien tenus. Achéron s'en été allé de son coté, allant tenter sa chance avec les Marchands. Erkenbrand avait quant à lui fait les cent pas devant le palais, essayant tant bien que mal de déposer sa requête, et avait dépêché les Gardes afin qu'ils cartographient la cité et ses abords immédiats. Le contact avait été difficile et laborieux mais finalement payant : le rôdeur avait été reçu par des puissants de la cité et ils étaient à présent chargés d'une mission pour l'un d'eux. Cela faisait à présent plusieurs saisons qu'ils arpentaient es terres de Délidar dans leur quête, inlassablement, bravant vents, pluie et monstres afin de parfaire leur quête. Plusieurs d'entre eux étaient déjà tombés sous les blessures des monstres effrayants qui erraient dans la campagne de Délidar : Chacals de feu, Loups noirs et autres créatures de cauchemar, chacune capable de réduire en pulpe sanguinolente l'aventurier moins bien préparé qu'eux.
Lui-même avait failli succomber à la morsure d'un monstrueux chacal de feu : le monstre lui avait sauté dessus une nuit où il campait sur une plage déserte, loin des herbes hautes dans lesquelles ils avait coutume de se dissimuler pour assaillir leurs proies ignorantes du danger. Se réveillant in extremis, il avait esquivé le premier assaut du monstre mais le temps de se relever et le fauve était déjà sur lui, arrachant un morceau de chair de son bras. Salement blessé, le rôdeur avait alors usé de toute sa ruse et de son intelligence pour semer le fauve et avait trouvé refuge, épuisé et exsangue, dans le petit village à l'embouchure du Fine, avant que le majestueux fleuve en se transforme en immense marais salant. Bientôt, ils trouveraient... Et ils reviendraient victorieux à Délidar...
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8ème jour de la saison sèche, an 945.
Çà y est ! Je l'ai trouvé ! Nous aurons mis le temps, parcouru des lieues et des lieues mais je l'ai enfin trouvé ! Nos sacrifices n'auront pas été vains : malgré les bêtes féroces et les conditions extrêmes auxquelles nous avons été soumis, notre quête s'achève enfin et je vais enfin pouvoir retourner rapporter notre succès à notre client actuel. Je dois prévenir les autres, nous rassembler avant de nous rendre là-bas et de présenter notre succès.
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Nous sommes de nouveau à Délidar. Délidar la mystérieuse. Délidar la sombre. Délidar l'inconnue...
Le client nous a remercié et c'est maintenant sur Délidar que nous reportons notre intérêt. Notre missive est-elle bien parvenue aux instances de la cité ? Nous recevra-t-on cette fois-ci ? Est-ce que seulement les gardes nous laisseront passer ? Tout semble pouvoir arriver à Délidar, tant ses habitants sont mystérieux... Le mystère... Il semble envelopper la cité tel un linceul d'énigme réfugié au sein d'une interrogation. Délidar...
Délidar ? Délidar !
Ô puissante cité ! Je saurais bien découvrir tes secrets un jour, par force, ruse ou patience ! Nul ne résiste à la Garde Franche et nous saurons vaincre partout et ailleurs, sur le champ de bataille ou dans les lits ! Sabre au clair et clair de lune ! Mon ami Pierre au revoir de...
Ouch... Faut que j'arrête la bière moi...
Depuis Soumais et sa bière frelatée, j'ai du mal... Ou alors c'est ce mokar qui s'est mélangé aux autres bouteilles dépourvues d'étiquettes ? Avec mes multiples passages dans l'eau, les étiquettes se sont depuis longtemps décollées et je peine à séparer mes différentes boissons. Bon, où en étais-je... Ah : Délidar ! Oui...
J'étais donc en chemin avec quelques Gardes pour cette fabuleuse cité quand soudain, l'air se mit à vibrer, comme un étang calme parcouru par une brise invisible...
Devant vous, un phénomène étrange se produit. L'air semble se raréfier, il devient plus étouffant, mais reste néanmoins respirable. Puis une fissure apparaît au milieu de nulle part, comme si le paysage que vous aviez en face de vous n'était qu'un décor de théâtre se fendant subitement en deux. Derrière, il fait sombre, très sombre. L'obscurité semble envahir les lieux, elle semble passer au travers. Un faible halo lumineux provient cependant de ce trou : un lampadaire. Ce dernier éclaire uniquement un sol pavé et... un banc, sur lequel se profile une silhouette encapuchonnée, rien de plus, vous donnant l'étrange sensation qu'il n'existe rien d'autre. Soudain, la personne se lève. S'est-elle rendu compte de votre présence ? Elle s'approche lentement de vous, vous ne voyez toujours pas son visage. Puis elle lève la main et tente de l'approcher de la faille... sans succès : un mur invisible empêche vraisemblablement tout passage. Elle commence alors à psalmodier des mots dans un idiome inconnu, un son caverneux et guttural qui vous laisse penser qu'il s'agit d'un homme. Au bout de quelques secondes, il semble cerné d'une aura. Brusquement, il projette son bras en avant et vous choppe par le col. Sa main est décharnée et vous horrifie. Vous croyez alors ne pas parvenir à vous échapper, c'est alors que la faille se referme. Le paysage que vous connaissez est revenu...
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43ème jour de la saison des pluies, an 945.
Repartant de Délidar après quelques emplettes, les Gardes Francs s'en furent explorer les alentours de la forêt de Brêche, s'établissant un campement provisoire dans un hameau non loin de Délidar afin d'organiser une partie de chasse, les rations étant épuisées et les Gardes n'ayant pas trop confiance dans les auberges de Délidar. On y entendait trop de rumeurs mal couvertes sur les étrangers, qui seraient associés à des patates, même si Lamia avait plutôt pris çà pour un compliment, ravie que des rumeurs de son fameux alcool de patates soient arrivées jusqu'à la mystérieuse cité. Cette partie de la forêt n'avait rien à voir avec celle qui jouxtait les terres de Stella : plus dense, plus profonde, plus dangereuse aussi ! On y rencontrait des créatures puissantes telles le roc, rusées tel le vent, discrètes telle l'ombre. Non, décidément, les environs de Délidar n'étaient pas fait pour un aventurier amateur en quêtes de sensations, sinon morbides.
Se séparant de ses hommes, le capitaine de la Garde Franche s'en fut à Port-Lurdias aviser des capacités de transport des navires locaux. Moyennant une faible somme, il serait à même de faire embarquer ses Gardes pour un rapide voyage jusqu'à Six-Fleurs au besoin. De l'autre coté, un voyage vers Anton était également envisageable, mais beaucoup plus long et trop cher pour les besoins actuels de la compagnie de mercenaires. Si nous commençons à jeter l'argent par les fenêtres, comment le ferions-nous rentrer dans nos poches ? se morigéna le capitaine.
Avisant le puissant fleuve Fine, il décida de le longer pour retourner à Délidar et de là, vers d'autres lieux, plutôt que de rejoindre la cité par la route, pourtant plus rapide. Le fleuve était puissant et le rôdeur redoutait de le traverser tant la force de son courant était puissante, visible de là-même grâce aux nombreux troncs charriés à vive allure par le flot tumultueux. Le rôdeur repensa à la vieille histoire d'une autre rivière au cours puissant, la Thure ou quelque chose du genre. Il ne l'avait pourtant jamais replacé sur une carte mais peut-être était-elle un affluent du Fine ? Tant d'eau...
Longeant le berges détrempées par une averse continue, l'homme finit par traverser le fleuve à pied relativement sec en empruntant le pont de Mugot, serpentant entre les créatures féroces qui peuplaient la plaine et les alentours du village. Le capitaine se demanda commet les paysans pouvaient bien continuer à cultiver leurs terres et survivre à ces bêtes féroces alors que lui-même craignait pour sa vie à chaque pas. Assurément, les gens de Délidar étaient bien des durs à cuire...
Croisant un chacal de feu au pelage grésillant sous les coups des gouttes d'eau, il se dépêcha de mettre quelques lieues entre la dangereuse créature et lui. Arrivant devant un premier affluent, il redouta de devoir confronter à nouveau le fauve mais finit par trouver un passage à gué pour passer sur l'autre rive. La nuit tombait et le rôdeur regretta alors de ne pas avoir pris la route en voyant la lune verte apparaître sous la voute céleste : il avait en effet rencontré de nombreux Chat Talis plus tôt dans la journée et il redoutait que les félins métamorphes ne viennent lui rendre visite dans la nuit. Serait-il vivant le lendemain. Le rôdeur redoubla d'ardeur pour rejoindre la cité pour sauver sa vie...
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9ème jour de la saison maudite, an 945.
Le voyage s'était bien passé. Long et monotone mais il commençait à en avoir l'habitude maintenant. Il avait fait des flots son allié et gagnait ainsi de précieuses journées dans son exploration des contrées australes de Barratie. Arrivé à Port-Hulmer, il avait eu vent de la venue d'un groupe important d'aventuriers. Après avoir fureté chez l'apothicaire et auprès des aubergistes, il avait fini par découvrir l'identité des voyageurs : il s'agissait de nul autre que Cosmophile et ses Sèneçons qui avaient visité le port et tenté de visiter, non sans dommage, les abords de celui-ci.
Le rôdeur avait pu constater la dangerosité de la faune locale : à peine sorti et déjà l'un des redoutables équidés avait tenté de le fendre en deux telle la constellation qui portait son nom. Evitant le mortel coup de corne, il avait tout de même reçu un violent coup de sabot à l'épaule qui l'avait meurtri dans sa fuite. S'aventurant plus loin avant, il avait remonté toute la côte ouest de la pointe d'Hulmer et continuait à progresser plus toujours plus loin vers le nord, laissant le soin au redoutable Krök de Gör le soin de se charger de la cartographie de la côte Est.
Les créatures serpentines avaient ravivé quelques souvenirs lointains d'un endroit bien plus chaud et sec, alors qu'il avait encore quelques tracas avec des bandits dont il n'avait pour l'heure aucune nouvelle. Ces derniers étaient peut-être enfin sous les verrous des geôles du roi d'Anton ? Quelqu'un aurait-il réussi à leur faire mordre la poussière une bonne fois pour toutes ou s'étaient-ils rangés, tels des chiens trop souvent battus ? il faudrait qu'il réactive quelque informateurs dans le royaume lacustre, cela faisait trop longtemps qu'il s'était désintéressé de ce qui s'y tramait...
Bon, mais c'est qu'il commençait à se faire tard et ce fichu village de Ribeyre qui se faisait désirer... Allait-il falloir passer la nuit dehors ? Le rôdeur avait encore le douloureux souvenir du coup de sabot qui le tançait depuis trois jours, il espérait en pas faire de mauvaises rencontres si proche du but. Errant à travers champs dans la brume profonde, il poursuivit son chemin...
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31ème jour de la saison maudite, an 945.
Je reprends mes carnets dans ce lit bien douillet. Bien longtemps que çà ne m'était pas arrivé de devoir garder le lit de façon prolongée. Etais-je devenu plus prudent ? Ou mieux organisé ? Trop confiant en moi-même, assurément : j'aurais dû prévoir la possibilité de ne pas trouver ce fichu village de Ribeyre et retourner à Rocautas au lieu de m'acharner au milieu des chacals de feu des loups noirs et des chats Talis : ils m'ont mis à mal de méchante façon et cela fait presque une quinzaine de jours que je végète dans cette ville loin de tout. Mes blessures se referment doucement et bientôt je pourrais repartir vers Délidar où m'attendent les Gardes Francs.
La route est encore longue et il nous faut pourtant nous hâter afin que nos porjets se réalisent. Je me rends compte que le temps passe et que mon projet ne progresse pas assez. Mais en verrais-je un jour le bout ? La clé du mystère est certainement proche mais comment la trouver dans cette meule de foin qu'est Arkhan ? Et comment ? Par quels moyens ? Mes compagnons sauront-ils poursuivre mon œuvre le jour où je en serai plus là ? Tant de questions sans réponses...
Le temps passe inexorablement et mes recherches progressent mais avec tant de lenteur... Comprendront-ils un jour ? Faux-t-il que je leur dise tout ou mon secret devra-t-il rester enfoui à jamais ? Certains l'accepteraient, d'autres jureraient ma mort. D'autres encore me tueraient plutôt que je l'avoue et d'autres encore s'en foutraient comme de leur première chaussette trouée. Chaussette... Çà me fait penser qu'il faudra bientôt penser à repriser les miennes : après tant de lieux sur la route, elles commencent à se percer par endroits, ici et là. Sans femme pour les repriser, je me dois de le faire de moi-même, de mes doigts engourdis par le froid. Ha çà, pas de deniers, pas de bois pour se chauffer ! Fichus deniers...
Au nord, les choses bougent et je me dis qu'il serait peut-être bon de nous en retourner là-bas : malgré le calme apparent qui règne à Belerim, les choses se passent là-bas et nos agents nous font part de bruits inquiétants : alors que la majorité des grandes coteries se prélassent en Barratie, les troupes de Trex ont repris leurs grandes manœuvres. A-t-il eu vent de quelque complot ? Souhaite-t-il reprendre la voie de ses aïeux et annexer quelque autre ville pour une fois de plus repousser ses frontières ? Mais qui attaquerait-il ? Son rival de toujours Anton ? Stella, Délidar et Six-Fleurs sont pourtant bien trop lointaines pour pouvoir être conquises et surtout dominées ! Le nord peut-être ? Mais il n'y a rien là-bas. Étrange...
Je vais envoyer quelques Holorings aux Gardes restés là-bas, qu'ils mobilisent nos espions et nos contacts à la cour pour en savoir un peu plus...
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41ème jour de la saison maudite, an 945.
Le soleil brille haut dans le ciel. je ne le vois aps mais je sens se rayons qui tentent patiemment de percer l'épais brouillard qui occulte la région depuis quelques jours. Le matin, l'épaisse couche nuageuse enveloppe les cimes majestueuses et dissimule les monstres qui hantent cette partie du monde. A la mi-journée, on distingue presque l'astre solaire dont le regard diaphane réchauffe davantage la vue que mes mains gourdes du froid de l'altitude, et transforme les volutes vaporeuses en nid de lumière dorée qui dissimule tout aussi bien crevasses que fossé, pics que collines au regard du voyageur imprudent. Les monstres ne sont pas en reste et je me suis plusieurs fois fait surprendre par un loup ou quelque autre aberration locale, tout autant que je semble les avoir surpris, visiblement : plus d'une fois, ce sont eux qui ont détalé à ma vue, la queue entre les jambes avec un simple jappement à l'un ou l'autre de leurs congénères.
La nuit en revanche est bien plus fraiche, difficile à supporter avec toute cette humidité. Au réveil, ma couverture est généralement humide et il me faut perdre une heure ou deux à rassembler de quoi faire un feu et les sécher pour peu que je souhaite ne pas tomber malade rapidement dans les jours qui viennent. Je pense que je ne vais pas faire long feu dans ces montagnes : le climat en est difficile et peu propice à un rétablissement au calme.
Chemin faisant, j'ai rencontré un berger qui m'a renseigné sur la route à suivre pour aller à Stella : plusieurs jours de marche sont nécessaires a-t-il dit, presque une saison complète pour peu que l'on s'arrête dans chaque village pour éviter les monstres dangereux qui parsèment les campagnes sauvages et les vallons pour la plupart inconnus du regard humain. Redescendant dans la plaine, j'ai croisé les trois sœurs et j'espère peut-être avoir la chance de croiser la tombe de leur vieux père, dont l'histoire que m'en fit mon père il y a bien des années de cela m'apprit bien plus de choses sur l'âme humaine que ce qu'il pût m'apprendre de sa propre expérience. Peut-être ne comprend-t-on vraiment que ce qui arrive aux autres et rarement ce que l'on vit soi-même ? A méditer...
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2ème jour de la saison des pluies, an 946.
Il pleut.
Encore.
J'ai l'impression qu'il pleut depuis plusieurs saisons déjà, tant la dernière saisons sèche ne l'a pas été du tout, les orages et les averses se disputant aux imposants nuages-montagnes pour dissimuler le réconfortant astre solaire. Que ne peut-il avoir deux frères comme les trois sœurs lunes pour réchauffer nos vieilles carcasses transies ! J'ai plus que de mesure dormi à la belle étoile ces derniers temps et je repense avec nostalgie aux douces nuits de Qerb, là où la saison des pluies l'est toutefois rarement et que l'on couche dehors sans crainte d'une pneumonie avérée dans les jours qui suivent...
Mais bon, je suis à présent revenu à la civilisation, après mon long périple d'exploration. Les affaires reprennent et je m'en félicite : le sud a peut-être après tout quelques ressources dont la Garde Franche peut prospérer : nous avons pu récupérer plusieurs primes sur des bandits locaux et à la tête d'un petit contingent de Gardes Francs, nous avons convoyé un riche marchand de Délidar jusqu'à Stella. Ce contrat là a été particulièrement juteux et pour cause : le négociant avait sur lui un trésor qui aurait fait le régal de tout monstre errant comme bandit qui l'aurait attaqué seul : lors de notre entretien, il me montra en effet son trésor : une importante caissette blindée dont il ne se séparait jamais, l'ouvrant uniquement pour nous payer une fois arrivée à bon port : sur un lit éperdu de perles rouges et blanches qui se comptaient par centaines trônait une imposante bourse dont il nous tira la somme convenue. Et je dois bien l'avouer, malgré la centaine de deniers dont il la délestât, elle semblait aussi pleine que quelques instants auparavant lorsque mon regard se posa pour la première fois dessus. heureusement que tous les Gardes sont des gens réglos : avec d'autres ou d'anciens Gardes à présent bannis pour avoir fauté dans les royaumes, la convoitise eusse peut-être été trop forte pour que nous n'ayons pas eu à nous préoccuper de problème de confiance en notre sein même.
Mais la route m'appelle à présent : j'ai transmis à Achéron de quoi renflouer les caisses de la coterie pour payer les dus de la Pestule Éclatée à Belerim, que nos compagnons de Qerb gardent à leur disposition leur refuge. A présent délivré du fardeau des missions, je suis libre de m'aventurer de nouveau sur les routes pour reprendre mes œuvres là où je les avais laissées. Visitant le val du Fenrir, je croisais l'un des neuf, en bien fâcheuse posture. L'élu de Bast succomba donc à la meute de loups qui nous attaquaient, quand bien même je parvenais à en repousser quelques uns. Dispersant les derniers prédateurs, je rapportais le corps amoché de l'Elu au petit village de Valgrass où il pourrait se remettre d'aplomb avant de reprendre la route pour sa cité voisine. Maintenant, je peux vraiment reprendre ma quête...
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Saison des pluies, an 946, un jour incertain...
Le Rôdeur marchait à travers un banc de brume si épaisse qu’on aurait pu la manger à la petite cuillère. L’atmosphère était lourde, lourde d’humidité tant que de danger. Toute la nuit, il avait entendu les nagas passer sous la branche haute qui lui avait servi de refuge, chassant sa trace qu’il avait pris soin de dissimuler par une contre-sente.
Les monstres l’avaient chassé toute la soirée et il n’avait dû sa survie dans cette forêt dense et profonde qu’à son talent inné pour la course en forêt. Sautant comme un cabri parmi les éboulis et les racines des arbres qui les broyaient comme autant de serres géantes, il avait échappé à plusieurs coups de crochets venimeux par pur réflexe et par deux fois, au prix d’une chute douloureuse.
Au bout de quelques heures de chasse nocturne, il comprit que ce ne serait pas en courant qu’il leur échapperait toute la nuit : déjà il fatiguait et malgré le fait qu’il ait semé pour un temps ses poursuivants, il savait bien que dans quelques minutes, il entendrait de nouveau le bruissement de leurs écailles et les sifflements caractéristiques de ses chasseurs. La contre-sente fut la meilleure idée de la nuit et lui permit de prendre quelques heures de repos en haut de l’arbre, réveillé de temps à autre par quelque bruit importun ou un insecte curieux.
C’est au petit matin qu’il aperçut le reflet : miroitement incertain dans le lointain, il ne pouvait s’agir d’un phénomène naturel. Assurément, il s’agissait d’un objet ou d’une construction humaine. Redescendant de son abri arboricole, le Rôdeur entama la lente progression en direction du reflet. C’est là que la brume le prit.
Insidieuse et collante, elle émergea de la végétation environnante dès que le soleil se fut élevé de plus de quelques degrés sur l’horizon. Plus froide encore que l’air nocturne, on eut dit qu’elle se déversait des plus hautes cimes enneigées des cordillères du massif du Fléau, quand bien même on était à plusieurs centaines de lieux de la moindre montagne. Rampante et omniprésente, elle enlaçait tous les êtres de la forêt de ses tentacules de froidure.
Soufflant et ahanant, il se hissa sur un gros bloc de pierre pour se retrouver sur un sol à peu près plat. Il avait dû faire plusieurs détours pour contourner des ravines et des blocs de rochers hauts de plusieurs mètres qu’il était bien en peine d’escalader. Progressant à tâtons à travers le linceul d’humidité, il distinguait à peine les reliefs et la végétation couverts par le voile grisâtre de la brume. Ce n’est qu’au bout de plusieurs minutes qu’il se rendit compte de l’incongruité de ce qui aurait dû lui sauter aux yeux bien plus tôt : le sol était plat.
Pas plat comme un sentier de terre battue ou comme le sol des plaines fertiles de Belerim. Non. Plat comme l’est un plancher, plat tel le sol d’une maison ou la place la mieux jointée de la ville d’Anton.
S’accroupissant, il se rendit compte que le sol, pour poussiéreux qu’il était, était en fait recouvert de carreaux de mosaïques de toutes les couleurs, bizarrement arrangées. Le travail était assurément celui d’un maître carreleur et le Rôdeur se demandait bien qui avait bien donc pu ériger villa de maître en ce lieu si reculé, pour qu’à présent, elle soit perdue et en ruines, dévorée par la nature.
Tout à son examen, il s’avança et finit par arriver au pied d’un mur de l’ancienne bâtisse. Lisse et tiède au toucher, il avait une texture blanchâtre des plus douces et semblait avoir résisté aux avanies du temps et des intempéries bien mieux que ce qu’il aurait dû en être après un certain temps d’oubli et d’abandon. Se relevant, le Rôdeur s’avança et suivit le fil du mur, bien décidé à en discerner les contours que la brume s’obstinait à vouloir lui révéler.
Au bout de plusieurs dizaine de mètres, il dut bien se rendre à l’évidence : ce n’était donc pas dans les ruines d’une villa mais bien dans celles d’un palais dans lequel il évoluait à présent : le mur serpentait doucement avec des courbes souples qui le menait toujours plus loin, grimpant un moment quelques marches longues et très plates, un autre moment, une rampe douce à peine discernable qu’un autre que lui n’aurait peut-être pas décelée… Il montait. Imperceptiblement mais assurément, ses pas le long du mur l’amenaient toujours plus loin, toujours plus haut.
Par cinq fois il discerna une ouverture scellée dans le mur. Ces ouvertures étaient faites d’un chambranle de la même matière que le mur, douce comme le bois, solide comme la pierre, qui était finement et richement ciselé, comme certains bijoux que le Rôdeur avait pu apprécier à Délidar, taillés dans l’ivoire de quelques bêtes étranges qui hantaient les environs aux dires d’un Marchand qui les lui avait montrés.
Mais pour simples comme imposantes qu’elles pussent être, nulle part de mécanisme d’ouverture, serrure ou poignée. Elles étaient purement et simplement scellées, de la même matière que le mur, comme s’il ne s’agissait que de motifs pour orner cette muraille pure et infinie. Après plusieurs dizaines de minutes à s’acharner et à vitupérer sur chacune d’entre elles, le Rôdeur finit par abandonner et à espérer pouvoir revenir avec un Voleur afin de les ouvrir un autre jour.
C’est alors qu’il la vit.
Douce lueur fantomatique, la silhouette avançait sans un bruit à travers la brume, fendant celle-ci de son pas assuré et négociant son itinéraire comme si elle voyait à travers la muraille vaporeuse. Éclairée de l’intérieur, elle irradiait une lumière que l’on devinait intense mais qui, quelque part, ne blessait aucunement l’œil du Rôdeur. Émerveillé, celui-ci se mit à la suivre, s’enfonçant toujours plus avant au sein du palais de blancheur, priant les dieux que cela ne soit pas le piège d’une aberration quelconque qui rongerait les os de l’explorateur imprudent.
Le spectre et son suiveur finirent par s’approcher de ce qui devait être le centre, non pas du palais, mais bien de ce qui devait être une véritable cité laissée à l’abandon mais pour autant dont l’état aurait abasourdi l’architecte le plus ingénieux. Les courbes étaient de plus en plus serrées, quelques angles finirent même par apparaitre, qui jetaient d’autant plus encore la confusion dans l’esprit du Rôdeur en jouant tours et illusions de mur s’estompant brutalement pour être remplacé par quelque citerne profonde et asséchée ou jet de colonnes squelettiques. Et ils montaient toujours plus haut, toujours se dirigeant vers le centre.
Enfin, ils parvinrent au terme de l’étrange voyage : marchant dans les pas à quelques mètres seulement, le Rôdeur avait pu discerner quelques traits de son étrange guide. Drapé dans une ample aube de lumière, son capuchon empêchait de distinguer quelque trait que ce soit sinon le contour d’une bouche aux lèvres fines et pulpeuses dont il aurait été bien en peine de discerner qu’il s’agissait d’un homme aux très fins traits ou d’une femme à la grande beauté.
Ornée d’un léger sourire, la silhouette portait à la main un long bâton semblable à ceux des Alchimistes mais différent de tous ceux qu’il avait pu observer jusqu’à maintenant : long et fin, il était ciselé de motifs entrelacés sur toute sa fine longueur et s’achevait en la tête de ce bourdon par une courte gerbe d’entrelacs complexes qui semblaient emprisonner une pierre d’un rouge transparent mais terne, comme si la lumière qui irradiait du fantôme ne se communiquait pas au joyau.
Les deux êtres arrivèrent sur une place ronde qui, semblait-il, dominait l’ensemble de la cité. La brume était toujours présente mais bien moins épaisse et le Rôdeur devinait grâce à de furtifs éclats de soleil se réverbérant sur icelles de majestueuses tours cernant les quatre coins de la cité, réparties comme les rayons d’une formidable roue autour de la place qui, construite sur la pleine hauteur de la colline sur laquelle était vraisemblablement érigée la cité, arrivait presque au niveau de leurs cimes respectives.
Au centre de la place, une tour épaisse et trapue donnait accès à un balcon circulaire au moyen d’un escalier en colimaçon qui s’enroulait autour d’elle Tout au long de celui-ci des statues étranges et des bas-reliefs offraient un spectacle étrange et incompréhensible au Rôdeur qui, enhardi par le terme du périple, grimpait quatre à quatre les marches à la poursuite de l’émissaire de lumière.
Ayant perdu celui-ci de vue au détour d’une volée de marches faute de s’être arrêté pour tenter de déchiffrer vainement une inscription faussement familière, il buta net lorsqu’il arrivât sur le plateau qui coiffait la tour à quelques mètres seulement du niveau de la Grand-Place : devant lui, le spectre s’était arrêté devant un autel circulaire et concentrique sur deux niveaux d’environ un et deux pieds de hauteur. La silhouette se tenait à présent sur le plus haut degré et alors qu’elle était jusqu’à présent muette et étrangement silencieuse, aussi bien dans ses déplacements que dans l’absence de ses paroles, elle psalmodiait à présent d’une voix gutturale et en désaccord avec la lueur douce qu’elle dégageait lors du périple.
Au fur et à mesure que la mélopée enflait et grondait toujours plus, la lumière qui habitait l’être se vidait peur à peu de son corps, s’éteignant progressivement jusqu’à ne plus héberger qu’une infime étincelle, alors que le joyau qui coiffait le bourdon prenait à présent vie et se parait d’une lumière rosée diaphane tout d’abord, puis d’un bourdonnant carmin éclatant pour terminer en un éclat de sang cramoisi, pulsant de vibrations sourdes à l’unisson de la mélopée dont le volume sonore atteignait à présent des proportions telles que les oreilles du Rôdeur résonnaient d’une douleur lancinante.
L’air se déchira alors de façon aussi soudaine qu’inattendu et une formidable implosion de froide lumière aveugla le Rôdeur, aspirant tout d’abord toute l’air environnant en une terrifiante tornade qui concentra la brume alentours en une boule éthérée qui prit les couleurs rougeoyantes du soleil avant de refluer encore plus puissamment dans une explosion silencieuse qui fit refouler la brume aux confins de la vision et jeta le Rôdeur contre la balustrade dorée qui ceinturait la tour de l’esplanade pour son plus grand secours.
Lorsque les yeux du Rôdeur se réhabituèrent à la luminosité nouvelle, il découvrit le paysage le plus grandiose qui lui eût jamais été donné de contempler : aussi loin que l’œil portait, s’étalaient blanches constructions ornées de perles et d’argent, arches d’albâtre et de malachite, tours d’ivoires rehaussées d’or et de calcédoine, placettes égaillées de jardins exquis et fontaines où l’eau s’égaillait soudain là où auparavant il n’y avait que moiteur et vide abandonné.
Une cité plus grande que toutes les capitales que le Rôdeur pourtant voyageur avait pu considérer, aussi propre et belle que Belerim était sale et puante, plus riche et ornée qu’Anton et d’une architecture exquise à faire mourir de honte les Bâtisseurs de Délidar. Le tracé des rues et des courbes des bâtiments étaient un tableau exquis à l’œil là où Stella apparaissait comme un simple crayonné à la va-vite, ébauche de ville jeté sur la plaine des astres et à présent que la brume avait disparu, les jardins embaumaient de mille senteurs plus enivrantes que Six-Fleurs en paraissait fade en comparaison…
Tout cela, le Rôdeur le vit en une fraction de seconde, le temps que cette scène inoubliable se grave à jamais dans sa conscience et ses souvenirs, le temps de se remémorer à jamais ce paradis urbain, le temps que l’être étrange à présent débarrassé de son bourdon fiché en haut de l’autel et irradiant d’une lueur ambrée ne se retourne vers lui et lui susurre quelques mots à peine plus haut qu’un murmure mais qui le plongèrent dans un abime de noirceur, un gouffre de ténèbres qui le happa et le jeta tel une feuille arrachée par la tempête dans l’abime de l’oubli.
Il se réveilla le lendemain matin, dans le petit village de Novers, bandé et couturé de partout par la femme de l’aubergiste. Abattu, épuisé, il écouta d’une oreille morne le récit de la femme grassouillette qui lui conta qu’il avait chu du ciel sur un taureau sauvage sous l’œil ébahi d’un chasseur du cru, manquant à moitié de le rendre fou. Le taureau rendu fou par le tonnerre qui avait accompagné la chute l’avait piétiné à mort, tentant plusieurs fois d’encorner le malheureux gisant au sol.
Le chasseur avait fait diversion afin que son acolyte puisse rapatrier le corps du malheureux qui était à présent dans ce lit, sous sa bonne garde, une tisane matin midi et soir et on n’en parlerait plus d’ici une décade !
Il avait hoché de la tête, l’esprit encore perdu dans les visions d’un autre monde, acquiesçant aux remarques de la forte femme, le regard fuyant et toujours là-bas… Tout cela était-il vraiment réel ? S’était-il perdu dans la forêt et fait mordre par un naga lors de son sommeil ? Peut-être n’était-ce qu’hallucinations causées par la soif et la faim dans cette forêt sauvage aux mille visages… Mais dans son œil encore ouvert brillait à présent le feu dansant d’un éclat rougeoyant que rien ni nul ne pourrait jamais éteindre…
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30ème jour de la saison maudite, an 946.
Je suis fourbu. Les loups m'acculent mais je ne les laisserai pas me dévorer. Sortant le Frelon de son fourreau, je porte un assaut de toutes mes forces pour terrasser le plus gros d'entre eux. Celui-ci évite facilement mon attaque, comme amusé que je puisse oser l'attaquer, lui, le chef de la meute qui me poursuit depuis le début de la saison maudite. C'est qu'il n'est qu'un animal et, contrairement aux hurlelunes, n'est pas doué de ruse comme les humains ou ses cousins aberrations. Ma feinte me permet de briser le cercle des loups et, profitant de l'élan de mon assaut, je me rue vers le bord de la falaise proche et me lance dans le vide, sous le courroux des loups qui réalisent alors seulement que leur proie vient de leur échapper.
Le vent me bat au tempe et je n'ai que le temps de rengainer le Frelon avant de plonger dans les eaux sombres et glaces du petit lac de montagne qu'avaient oublié les loups. Ceux-ci vont maintenant devoir faire un grand tour pour reprendre leur traque, ce qui me laissera largement assez de temps pour les semer dans les collines au nord. J'ai la tête un peu engourdi par le choc et mon corps commence également à s'engourdir. Je dois lutter contre le froid qui enserre mon corps, les frissons qui le parcourent cessant peu à peu alors que l'étau glacial des eaux froides me broies de son étreinte mortelle. Il faut que... Il faut que je reprenne pied... que j'accoste au plus vite... Là ! La berge !
Me trainant à mon corps défendant, je me hisse sur le rocher plat et me dépêche d'ôter mes habits. Le vent est froid sous la lune violette mais pas tant que l'eau glacée qui imbibe mes vêtements. Bientôt, il sèche mon corps buriné par les éléments et musclé par les nombreux voyages. Çà et là, on devine une ancienne blessure, une cicatrice, des tissus qui portent la marque ancienne de crocs ou de griffes. Les frissons me reprennent, il est temps que je trouve de quoi m'abriter. Formant mes affaires encore humides en un baluchon glacial, je file vers les sous-bois pour trouver quelque refuge. Quelques heures après, je suis ragaillardi : une bonne bière, une ration et surtout, un bon feu de branches sèches qui ravive les forces et l'humeur joyeuse du rôdeur en communion avec la Nature.
Les bruits de la forêt ne révèlent aucun menace : les grillons stridulent, les oiseaux de nuit lancent leurs cris nuptiaux et les insectes bourdonnent gaiement en se jetant dans le feu, ponctuant de petits craquement leur immolation rituelle. Regardant le feu, je réfléchis aux dernières nouvelles de l'Holoring : un concours de peinture... Sur les temps anciens... Ce Bernéphos a-t-il quelque rapport avec les archéologues de Belerim ? Déjà lors de l'expédition il était présent, sous couvert de fournir des armes aux aventuriers qui souhaitaient rejoindre l'expédition. Y'a-t-il un lien ? Serait-ce que... Non, pas de conclusion hâtive. Peut-être n'est-ce qu'une coïncidence... Moué. On va quand même aller voir çà de plus près !
Rangeant le bijou des temps anciens, le Rôdeur attise les flammes pour augmenter la clarté du feu et sort ensuite de l'étui imperméable l'un des plus précieux trésors qu'il transporte : les cartes de la Compagnie. Plusieurs annotations sont venues compléter le dernier jeu de cartes fournis par Kordoch le maître cartographe, portant sur les environs jusque là inexplorés par la compagnie franche : "Ici des loups" apparait plusieurs fois, soulignés rageusement de plusieurs coups de crayons. Il range de nouveau les cartes après avoir pris quelques notes et se coule sous la couverture rêche, oubliant le temps et les menaces pour se replonger dans ses rêves...
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30ème jour de la saison maudite, an 946.
Sortant de chez le tanneur, le rôdeur considéra les vieilles armes dans son sac à dos et se mit à réfléchir à la présence de Bernéphos à Stella. Était-ce un signe ? Ses pas le menèrent au temple du Cerbère, où il entra pour prier quelques heures, s'abandonnant dans ses réflexions intérieures dans ce temple de l'intégrité. A sa sortie, plusieurs doutes s'étaient envolés et il devait maintenant agir. Ou préparer les temps à venir pour agir en tout cas. il passa donc tout d'abord chez l'usurier puis au bazar et enfin trouva à se loger dans une petite maison non loin de la porte ouest, suffisamment boisée alentours pour souffrir un peu moins du brouhaha de la cité.
Sa logeuse, madame Merme, était un petit bout de femme charmant, veuve depuis de longues années et ses quelques hôtes de passage l'appréciaient tout autant pour sa discrétion que pour sa succulente tarte aux pommes. Le capitaine faisait de temps en temps halte chez elle lorsqu'il voyageait seul et devait prendre quartier dans la citée étoilée. La vieille dame l'accueillit avec grâce et joie de vivre, égale à elle même et comme si le Rôdeur ne s'était pas évanoui depuis plus d'une année révolue.
Déposant son lourd sac à dos dans la petite chambre cossue, il s'assit sur la seule placée devant le bureau et respira un grand coup à travers la fenêtre ouverte : l'air embaumait des senteurs pluvieuses de poussière mouillée, de jeunes bourgeons de rose et d'une pointe de fumée de bois qu'il mit sur le compte de la vieille dame devant ses fourneaux afin de préparer le repas du soir de ses hôtes. De là où il était, il avait une vue dégagée sur l'une des portes de la ville, pas la plus empruntée certes, mais la plus proche d'Anton et d'Hagaux, ce qui n'était pas négligeable pour connaitre l'arrivée de certaines personnes. De plus, la longue allée qui longeait la muraille vers le nord donnait dans la perspective une vue imprenable sur la haute tour sombre de l'aéroport, vue aussi intéressante qu'utile pour le capitaine de la coterie.
S'étirant sur la chaise, il fit jouer ses articulations et ses épaules roides, couvant du regard une jeune vendeuse qui remontait le long de l'allée. Peut-être se permettrait-il une sortie ce soir ? Les femmes du sud n'étaient pas aussi faciles que dans le nord mais s'il n'était plus si jeune homme que lors de son dernier passage, il avait pu apprendre beaucoup de la gent féminine, et notamment que celle-ci se laissait d'autant plus aller une fois sur le dos de la bête curieuse de l'ivresse. Peut-être une serveuse avec qui jouer ou une artiste à lutiner ? Ha ! Le rôdeur arrêta là ses rêveries et les reporta sur l'objet qu'il avait acheté il y a peu à l'homme étrange du bazar. Ouvrant la petite boite, il en inspecta les instruments et commença à en saisir le maniement, s'exerçant tout d'abord sur un vieux parchemin avant de s'attaquer à la toile vierge :
Cette toile est un mélange de style et de couleur plutôt audacieux, qui témoigne de l'iconoclastie de son auteur.
Elle se divise en deux espaces distincts : le centre et son pourtour.
Sur tout le pourtour, des tons pastels d'aquarelle ont été utilisés, représentant une scène de vie dans une cité fantastique et illuminée de milles magies : aéronefs personnels, images lumineuses dans le ciel et au dessus des passants, vêtements chatoyants et aussi burlesques qu'exotiques, objets inconnus se déplaçant sans aucune aide au raz du sol. Les teintes diffuses et transparentes semblent évoquer le souvenir et les personnages représentés apparaissent tous comme des fantômes d'un autre temps. Deux œillets se distinguent notamment dans ce kaléidoscope de scènes : l'un tout en haut montrant un soleil emprisonné et l'autre tout en bas montrant comme un puits de noirceur sous les fondations de la cité.
Au centre par contre, la technique des gouaches tranche et fait ressortir une spirale éclatante, jaillissant du tableau et le divisant en deux une scène de la même cité mais en ruines, le blanc pauvre des ruines tout juste tâché de gris et d'ombres plus sombres, avec pour seules notes de couleur des tâches de verdure naissante et de minuscules jaillissements de fleurs éparses presque cachées ici et là, comme si l'artiste avait voulu évoquer reconquête lente et discrète des ruines de la cité par la Nature.
L'ensemble est très riche de détails, même si ceux du pourtour sont plus diffus et ceux du centre plus difficiles à isoler, mêlant les deux styles et les deux représentations avec goût bien qu'hésitations. L'œuvre en elle-même n'est pas celle d'un grand artiste, mais l'approche intéressante vous donne peut-être envie de la regarder un peu plus longtemps afin d'en dénicher tous les détails. La signature, discrète et intégrée à l'œuvre vous éclaire sur l'étrange artiste : "Erkenbrand, GF, Stella 946".
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4ème jour de la saison des pluies, an 947.
Cela faisait déjà plus d'une saison que le capitaine de la Garde Franche et ses hommes écumaient Stella pour retrouver la relique volée et ce, sans y parvenir comme tous les enquêteurs présents. La tension montait et rendait les gens nerveux, parfois même sanguins. Des accidents avaient eu lieu, notamment avec des ivrognes ou des marchands pressés de faire affaire en dehors des murs de la ville et qui ne toléraient plus les fouilles continuelles que les miliciens leur faisaient subir à chaque entrée. Le capitaine en avait également fait les frais, apostrophé et insulté avec véhémence par un triste sire du nom de Sing Sang Sung pour une sombre histoire de toile abandonnée dans une allée puis réclamée à corps et à cris par l'intéressé.
Tout d'abord ignorant le malpoli, un puissant Stellesi en la personne de Vaklav s'était pourtant mêlé de l'affaire et était intervenu en diplomate afin d'aplanir le différend qui excitait ce quartier de sa cité étoilée. Soupirant de voir ce voleur de Marchand en arriver à invoquer la grâce des seigneurs de Stella, Erkenbrand ne se fit pas prier pour lui remettre l'objet du différent, décoré cependant pour l'occasion d'une œuvre retraçant ledit différend et rendant une justice à la manière du roi d'une vielle légende oubliée : baptisant son œuvre "Le roquet", il représenta le petit Marchand excité en un roquet aboyant après une ombre mais ayant trop peur pour s'en prendre à elle. Fatigué de cette épopée, il se rendit en suivant à l'auberge où un quidam avait offert une tournée générale, dont il profita bien afin de se délasser de ses ennuis de la journée. Malheureusement, un autre trublion reprenait de plus belles ses approches forcenées autour d'une jeune et jolie Archère et le Rôdeur ne put s'empêcher d'intervenir afin de secourir la jeune femme des assauts du bellâtre, quand bien même il sentait bien qu'il allait s'attirer des ennuis rapidement...
Je dois les attirer aujourd'hui, c'est pas possible autrement... soupira-t-il avant de s'avancer vers les "tourtereaux".
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42ème jour de la saison sèche, an 948.
L'enquête avait duré de longs mois et la vérité était toujours trouble, malgré le fait que la Relique de la cocatrice ait été retrouvée. Le rôdeur s'était entretenue avec sa logeuses et plusieurs voyageurs et locaux mais personne n'avait davantage d'informations sur l'enquête. Les Élus avaient verrouillé toute l'affaire et aucun bruit n'avait filtré, pas plus sur la fraternité Da Costa que su Marcus Oresta ou quiconque. La relique retrouvée, les portes avait été rouvertes et les marchands, chasseurs et autres commis ou voyageurs avaient repris leur ballet incessant aux portes de la ville étoilée. Sentant que rien de plus ne surviendrait, Erkenbrand avait quitté son pied-à-terre, non sans remercier sa logeuse et son nouveau pensionnaire, un acrobate de renom qui lui avait donné deux ou trois trucs pour s'améliorer.
Traçant plein sud, il avait envie de se vider la tête et de découvrir de nouveaux paysages, de nouveaux personnages et s'essayer aux quelques passes apprises. Quittant le chemin au gré d'un changement de luminosité, il s'était laissé porter par le goût de l'inconnu et le choix de ses semelles rapiécées qui l'avaient mené à un petit village niché au sein d'une petite plaine où bovins et canidés lui fournirent pendant presque toute une saison de quoi assurer sa subsistance et préparer une future expédition.
Il y avait retrouvé des forces et de l'espoir, se ressourçant puissamment après ce long enfermement dans la ville enfumée, surpeuplée et nauséabonde, quoi qu'en dise les Élus. Il doutait un jour de pouvoir se faire à l'atmosphère d'une cité, tant elle était un rassemblement trop important de concitoyens. L'air pur, l'espace libre et l'horizon lointain, voilà quelles étaient ses valeurs et sa raison d'être ! Dégustant une bière adossé à un confortable banc de l'auberge, il appréciait tranquillement le coucher de soleil après une longue journée quand un violent coup le jeta au sol. Tournant de l'œil, il ne perçut que le bruit des tessons de sa bouteille et une rapide fouille de son sac, l'agresseur lui dérobant quelques bières et une poignée d'Arkhanas qui trainaient au fond de sa poche.
Au réveil, un holoring brillait à sa main : une silhouette égrenait des droits et des devoirs envers le territoire et terminait là-dessus : "La loi du territoire prévaut sur toutes les lois. Ne l'oublie pas." Qu'était-ce donc ? Un Garde-chasse peut-être ? Le faciès rappelait quelque chose au capitaine de la Garde Franche mais il ne parvenait pas à remettre un nom dessus... Ce fut alors que deux autres Gardes se manifestèrent à lui : eux aussi avaient été agressés sans avertissement aucun, après recoupements, par le même personnage semblait-il. Il s'agit de Masch, le redoutable malfrat, jamais inquiété, jamais condamné. Il détrousse ses victimes en les assommant d'un coup de gourdin mais se débrouille toujours pour agir à couvert et personne n'ose porter plainte contre lui : à croire que les témoins redoutent de se faire tabasser s'ils racontent ce qu'ils ont vu !
Le rôdeur n'en avait cure : il n'avait pas perdu grand chose et seul son égo était égratigné. Se reposant quelques jours à l'auberge devant laquelle il s'était fait détroussé, il reprit son train de vie et put même s'acheter un nouveau sac grâce aux quelques carcasses qu'il avait retrouvé après son attaque. Son vieux sac à dos était trop rapiécé à présent et menaçait de trouer à plusieurs endroits, notamment là où le gourdin avait laissé une empreinte, brisant une boucle et un fermoir.
C'est en sortant de chez le tanneur qu'il avait reçu l'appel. Un lointain cousin, inconnu jusqu'à ce jour et qui n'avait retrouvé sa trace que récemment grâce à des révélations familiales. Un peu perdu, le parent lui expliqua son cas et posa de nombreuses questions, cherchant auprès du rôdeur quelque aide ou information. La famille, çà ne se renie pas ! Toutes affaires cessantes, il fit l'inventaire de ce qui lui manquait et acheta quelques rations pour le voyage. Le rendez-vous était assez éloigné mais le rôdeur savait qu'en choisissant les bons chemins et en empruntant deux ou trois raccourcis de sa connaissance, il pourrait peut-être rejoindre son cousin dans le courant de la saison suivante, sans avoir à emprunter d'argent pour voyager par aéronef : il appréciait de voir la terre d'en haut mais cette compagnie de voyages pratiquait des prix exorbitants pour l'ascète qu'il était. Qu'à ce la ne tienne : il avait le goût du voyage et ce n'est pas la route qui lui ferait peur ! En avant pour le ponant !
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17ème jour de la saison des pluies, an 948.
La route est longue jusqu'à mon but... M'y attendront-ils ? Je n'ai pu faire autrement que de retarder mon départ, j'espère juste que cela n'occasionnera pas le mal que j'imagine. Le moindre retard pourrait être dangereux aussi je me hâte. Le laissera-t-il seulement en vie ? Lui que je n'ai jamais vu plus de quelques instants, et qui s'est constitué prisonnier, lui ce lointain frère de sang que je ne découvrit qu'il y a si peu, lui qui fait peut-être plus pour moi que jamais je ne pourrai faire pour lui...
Le rôdeur file à travers champs et campagne. Le refuge des collines n'est plus très loin et avec elles l'assurance de pouvoir souffler un peu pour se cacher des Nagas. Ces fieffés reptiles sont doués pour ressentir les vibrations du pas du voyageur aussi il n'est d'autre solution que de se déplacer lentement avec des souliers rembourrés à moins de ne pouvoir courir plus vite -et plus longtemps- que ces infatigables gardiens de la lande. S'orientant sur les étoiles, il atteint le vallonnement espéré et s'enfonce dans le moutonnement de la plaine qui vient lécher le pied des collines de ses herbes hautes comme la mer les îlots de l'archipel de Valoryn.
La halte est de courte durée car les Nagas sont toujours après lui. Jetant une poignée de terre pour éteindre le petit foyer, le voyageur cherche des yeux un moyen de leur échapper. Pas d'arbre ou se réfugier, ni de falaise pour s'évader, pas de... Ah ? Courant d'un pas léger, le rôdeur se hâte vers le sommet de la colline et aperçoit le flot au loin. Sauvé ! Ne s'entourant plus du luxe de précautions qu'il a usé lors de la traversée de la plaine, il se jette à corps perdu dans une course échevelée pour atteindre l'onde.
Les reptiles sont là, ils ressent leur présence et voit les hautes herbes onduler autrement que par le souffle du vent. Bifurquant juste avant d'atteindre une rangée de buissons, il saute par dessus un petit talus et par dessus le corps ondulant et multicolore d'un monstre surpris qui n'a le temps de mordre l'intrépide rôdeur avant que celui-ci n'aie rejoint le sol et repris son sprint vers la rivière par un chemin détourné. Bien lui en prend : la ligne de fourrés s'agite soudent et deux puissants monstres en jaillissent pour reprendre la traque là où leur proie a éventé leur piège. La famille de Nagas resserre son étreinte sur l'intrus, acculant celui-ci aux rives intérieures du fleuve, espérant le voir combattre ou résister, tout au moins cesser de fuir !
Mal leur en prend : c'est d'un plongeon aussi leste qu'agile que le rôdeur s'élance de la hauteur pour fendre les eaux tourbillonnantes du fleuve, ressortant à quelques encablures de là sur la rive opposée. Saluant les monstres d'un geste assuré, il prend le temps d'essorer ses vêtements avant de repartir d'un trot léger, plus serein quant à son repos de ce soir. Les Nagas n'auront pas sa peau, ne reste plus que les Phénix à éviter maintenant ! Mais ceux-là sont aisés à éviter pour peu qu'on trouve une bonne cachette la journée : doté d'yeux perçants, ils perdent une grande partie de leur acuité la nuit et c'est alors que le rôdeur compte bien poursuivre sa progression, rapidement mais prudemment. Pourvu qu'il arrive à temps...
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1er jour de la saisons maudite, an 948
Le soleil se lève, encore, et le rôdeur repense à son dernier périple.
Ils ne l'ont pas attendu et à présent, tout est fini. Il n'a pas eu son mot à dire, n'a pas été témoin de ce qu'il attendait comme une révélation et qui au final, s'est révélé une déception. Une déception ? Voire une menace dans l'avenir. Il sent l'étincelle plus qu'il ne la voit. Il peut la sentir comme les vieux sentent l'orage alors que le ciel est bleu. Il sent que tôt ou tard, il aura à affronter ses erreurs et que ce sera une dure leçon. Mais qu'importe. Il n'est pas seul. Il ne sera jamais seul. Tant que des hommes et des femmes parcourent le vaste monde, il saura que sa quête aura forcément une fin. Que son dénouement soit heureux ou malheureux, qu'importe : il sera enfin délivré de la charge qui pèse sur ses épaules. Parfois, elle lui pèse tant qu'il songe à tout arrêter et à disparaitre des yeux des hommes. Parfois, elle lui donne la force d'avancer et de se surpasser, rassemblant son énergie et la démultipliant pour le faire avancer encore, encore, encore et encore !
Las, il est reparti par un autre chemin, laissant le soleil et le hasard guider ses pas. Escaladant un pic, franchissant une rivière, une plaine, un ruisseau, avalant les lieux et les lieux dans la nature sauvage ou domestiquée, il s'est lancé à corps perdu dans un nouveau viatique qui l'emmènera les Dieux seuls savent où. Empruntant une barque, il a même tenté de traverser le bras de mer mais s'est heurté à la longue falaise qui berce la côte et ses dangereux gardiens. La barque malmené a coulé et il en a miraculeusement réchappé, les monstres préférant s'acharner sur son sac à dos pour en retirer les rations humées que d'affronter le voyageur à la dague antique. Les Dieux lui adresseraient-ils un signe de leur faveur ? Tout ce qu'il sait, c'est qu'il est reparti, inlassable, sur les chemins de son destin...
Le soleil l'éblouit un moment. Levant sa main, il aperçoit des silhouettes indistinctes qui agitent les hautes herbes au loin. Des prédateurs en goguette. Qu'importe, il ne compte pas s'attarder ici, de leur servir de repas ou pire, de jouet. Les gros chats se ruent pourtant sur le rôdeur, le balayant de leurs pattes puissantes. Le rôdeur s'y attend et effectue un roulé-boulé sur le sol. Pas de sang : pas de griffe. Les chatons sont là pour jouer, ils ont déjà dû se repaitre de quelque cerfs ou taureau sauvage et n'ont pour l'heure qu'envie de s'amuser un peu avec leur nouveau jouet.
Roulant de tous sens afin de ne pas se laisser blesser, le rôdeur aperçoit enfin la fin de la plaine qui fait alors place à une lande déserte. Et au loin : un village !
Jouant avec les puissants félins, le mercenaire se dirige petit à petit vers les habitations, tentant de se défaire sans heurt de ses compagnons de jeu. Ramassant un bâton noueux, il noue un chiffon et l'agite alors devant les fauves hypnotisés par a couleur vive. Lançant son projectile improvisé au loin, le rôdeur n'attend que la seconde nécessaire aux chatons pour s'élancer vers leur nouveau jouet avant de se carapater aussi vite que possible vers la haute palissade où déjà un guetteur lui fait des grands signe.
Derrière lui, un puissant "SNAP'KRCH" retentit alors, suivi de "Schrrr Snap Rhssshh", annonçant la mort subite du bâton et du morceau d'étoffe. Jetant un oeil derrière lui, il voit les fauves le chercher de toutes part et finalement, se jeter à ses trousses. Mais ils ont trop joué et il a trop d'avance. Ahanant, il parvient enfin à la haute barrière où le guetteur, un grand guerrier, le félicite pour sa course d'un hochement de tête avant de refermer la porte alors que les monstres se ruent sur la palissade, feulant de dépit à la disparition de leur jouet.
Ahhhh ahhh haa... Merci... Fait chaud dans le coin, non ? Haaaaa... Une auberge dans le coin ? lui lance-t-il sur le ton de la plaisanterie ? Il est nouveau dans le coin et ne sait pas trop. Mais il fera vite le tour avant de reprendre son chemin. Sa mission n'attend pas et il le laissera profiter d'un repos bien mérité. Que faire maintenant... ?
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