Forum Arkhan

Novers. Une auberge. La pièce du rez-de-chaussée semble tout à fait proprette. Les murs lambrissés encadrent quelques peintures faites avec un certain talent. En tout cas du point de vue de Bedain. Le bar et les tables, en bois également, semblent être nettoyés souvent et avec attention, ne laissant à aucun client l'occasion de tremper ses manches dans la bière renversée de son prédécesseur. Sans être luxueuse, cette auberge est du moins tenue avec soin. L'atmosphère confinée et la lumière tamisée donne envie de s'y sentir à l'aise. Bref, l'endroit inspire confiance.

La patronne aussi, du moins au premier coup d'œil. Une femme bien en chair. Ses cheveux, attachés en chignon, se cachent sous une bonnette bordée de dentelle. Sa jupe vert foncé prend racine parmi ses bourrelets et retombe jusqu'à ses escarpins. La chemise blanche en revanche aurait pu être moins décolletée, surtout que le tablier qui la recouvre est attaché trop bas pour cacher ce qui est resté à l'air libre. Derrière elle, quelques jeunes femmes se tortillent en pouffant. Chez elles non plus, le tissu ne fait pas excès. Il laisse suggérer, mais tout est dans le niveau de suggestion... D'ailleurs la dernière fois qu'elles sont allées aux latrines, leur jupe est restée coincée dans leur culotte. Bedain rougit, pensant à la proposition malhonnête de Ronce.

La patronne les accueille avec un sourire franc, alors qu'ils s'installent autour d'une de ces tables vernies et soigneusement astiquées. Le Floralien lève un doigt discret à l'attention de la patronne, et soudain, deux des jeunes femmes les rejoignent, s'accrochant à leur bras et vantant leur musculature en minaudant.

La soirée avance, les bières coulent à flot, les éclats de voix et les rires résonnent. Des mots surgissent. Des voix graves d'abord : Lyphanie... Myhou... imbécile... amoureux... belle... mourir... Des voix plus claires aussi : choupinet... fête... garce... boire... coquin...
Les deux luronnes gloussent et se frottent contre les deux archers. Bedain essaie bien de garder ses esprits, mais il n'y a pas à être très lucide pour remarquer qu'il se sent tout chose. Cette fille qui écrase sa poitrine contre lui fait valoir ses arguments sans beaucoup de subtilité, le jeune archer y est de moins en moins indifférent et Myhou devient toute petite dans son esprit. Ronce, lui, n'a pas de scrupules : après avoir braillé quelques mots inintelligibles, il prend la demoiselle qui l'accompagne par la taille et l'entraine à l'étage. Bedain se laisse aller. Il ferme les yeux, et l'esprit embrumé lui susurre à l'oreille le nom le plus doux du monde : "Myhou..."
Mais ni Myhou, ni fille de joie. Quand Bedain rouvre les yeux, les heures se sont écoulées, le soleil s'est levé. Il est seul sur son banc en bois avec une gueule faite de la même matière. Sa chemise n'est certes plus sur son dos, mais son pantalon est toujours à sa place. Que pouvait-il bien y avoir dans cette bière ?! En tous cas, ils la font pas venir de Stella, ça c'est sûr !

Derrière le comptoir, la patronne en robe de chambre et bigoudis nettoie ses derniers verres. Le mouvement du rouquin lui tire un gloussement sarcastique
"Ben alors... Le roitelet s'est endormi sur son bec ? Tu m'as frustré la Jeanne, surtout avec le bruit que faisait ton copain avec la Suzette ! T'es sûr qu'elle voudra d'un puceau pareil, la fille dont t'as parlé toute la nuit ? En tous cas, le tarif est le même hein mon gaillard"

Le lendemain

Le père n'a rien dit. Il a juste acquiescé avant de replonger dans le silence. Bedain est un peu désarçonné. Il ne comprend pas trop ce que voulait son géniteur. Ce matin, il le suit à nouveau vers le chantier, en silence. Aujourd'hui, c'est décidé, il fera des efforts !

Mais toutes ces belles décisions, c'est sans compter sur les astres. Le soleil brille haut, et rester là à retenir les poutres que le charpentier assemble... par une si belle journée... quel gâchis ! Allez, un peu de concentration... Oh tiens, là-bas, y'a la fille de d'habitude qui arrive ! Ses cheveux sont si beaux que Bedain ne peut pas se retenir de les prendre pour cible. Il abandonne le travail en cours et va vite se mettre en position sur sa poutre. De là, il le sait, l'angle est parfait. Ca y est, elle passe ! Les doigts agiles du garçon attrapent les copeaux avec dextérité alors que ses yeux ne lâchent pas un instant leur cible. Et là, paf, paf, paf, les copeaux rebondissent sur la tête et vont s'emmêler dans les cheveux gris.
Son regard sombre se tourne une fois de plus vers le garnement, mais cette fois, elle ne se retient pas. Elle commence à grimper vers le perchoir et à tirer la jambe de son bourreau. Raymin s'énerve
"Bedain, y'en a assez, va jouer plus loin !"

Les astres... aujourd'hui, c'est justement le jour du rôdeur... Il saute au sol alors que la furie lui saute sur le dos. Quelques coups, griffures, tirage de cheveux plus tard, ils sont affalés sur le dos, cote à cote dans la terre battue du chantier. Bedain éclate de rire
"Chouette bagarre ! Tu te défends bien pour une fille ! Moi c'est Bedain. Tu t'appelles comment ?
- Myhou..."

"Elle ne t’aime pas, Bedain ! Pire, elle en a rien à foutre de toi ! Rien !"

Les mots de Ronce résonnent dans la tête du jeune homme. Ce n'est pas vraiment une révélation, il le savait déjà. Mais se l'entendre dire avec autant de conviction, ça ne fait pas vraiment du bien. Et maintenant, son ami essaie de le caser avec Safet, ou n'importe quelle autre d'ailleurs, du moment que c'est une fille. Il est sympa, Ronce, mais des fois il en fait trop.

Il est assis par terre, planqué derrière un pilier dans le Temple de la Cocatrice. Celui-ci est vide désormais, la vie y a repris son cours comme si rien n'avait eu lieu. Alors il en profite. Le temple est calme, propice à la réflexion. Son holoring sonnait trop, alors il l'a éteint. L'enquête, il en a marre. En fait, ce sont les Elus qui lui cassent les pieds. Tu parles d'hommes intègres. Au choix : soit les Astres sont tombés sur la tête, soit en guise d'Elus, ce ne sont que des usurpateurs. Y'en a bien quelques uns de droits, mais ils ne font pas la majorité. Et ce n'est pas Messire Oreta qui va faire contre-exemple ! Il se rappelle les mots du Sergent Deurges en rougissant de honte ! "La plupart de ceux que vous voyez ici ont quelque chose à cacher du temps de leur vie ancienne, mais ce qu'ils sont maintenant nous est bien plus important."

Dire que lui aussi a appartenu à un de ces temples ! Est-ce que Messire Fankia était aussi pourri ? Bedain secoue la tête.

Il rallume finalement son holoring qui lui explose quasiment à la figure. Bon voyons, des frangins pas nets, un truc sur le feu, une minette stellesi qui se fait draguer, une guerre en souffrance avec la Garde Franche... Il n'a même plus envie de retrouver cette foutue relique, les Elus semblent se dépatouiller très bien tous seuls. Son 36^ème anniversaire approche à grands pas. Si sa famille apprend qu'il est à Stella, ça va être sa fête, dans les deux sens du terme.

D'un pas décidé, il prend la direction de la sortie de la ville, prêt à subir la fouille de rigueur. Super... une fourmi n'échapperait pas à l'inspection, mais on est incapables de trouver une relique grosse comme une pastèque !